L. Auberson (dir.): Les chartreuses et leur espace

Titel
Les chartreuses et leur espace. Actes du colloque tenu à Arzier (canton de Vaud, Suisse) et études diverses


Herausgeber
Auberson, Laurent
Reihe
Cahiers d’archéologie romande
Erschienen
Lausanne 2016: Société d’histoire de la Suisse romande
Anzahl Seiten
244 S.
von
Gilbert Coutaz

Dix-huit contributions pour vingt et un auteurs, quatre langues: allemand, anglais, français et italien, tel est le bilan chiffré de ce nouveau volume des Cahiers d’archéologie romande. Un premier ouvrage paru en 1999 dans la même collection avait déjà été consacré à la chartreuse d’Oujon, la plus ancienne chartreuse de Suisse fondée soixante ans après la naissance du mouvement constituant la seule implantation sur le versant oriental de la chaîne jurassienne1. En 2006, l’entreprise éditoriale Helvetia Sacra avait traité dans son ultime contribution de l’ordre des chartreux en Suisse2, qui constitue désormais l’assise historique à toute étude sur le mouvement cartusien en Suisse.

Le thème de la géographie historique des établissements des chartreux, défini par Laurent Auberson dans la contribution liminaire, appartient à tout le processus de cet ordre religieux: nécessité de créer rapidement le désert, d’en tracer les limites et de s’en assurer la propriété. La vie érémitique doit être préservée des turbulences du voisinage et des contacts directs. La vie contemplative doit pouvoir s’exercer dans un espace délimité (termini possessionum) et matérialisé par des bornes, des éléments physiques protecteurs et dans un environnement vécu et identitaire (« le désert»), si possible d’un seul tenant et de vaste étendue; le moine ne peut quitter le désert. La structuration de l’espace obéit à une logique de verticalité ou ascensionnelle, avec une maison basse qui joue le rôle de filtre et la maison haute où s’organise la vie communautaire. Meta Niederkorn-Bruck «Die Kartause als Raum im Raum», définit la symbolique de chaque espace cartusien. Selon Laurent Auberson (p. 15), c’est «en effet un espace structuré, à la fois comme une composition d’ensembles (au sens quasi mathématique du terme) et comme un cheminement, une progression» (p. 15).

Sont ainsi passées en revue les chartreuses fondées en Suisse: Oujon, VD (fondation vers 1146-1149), supprimée en 1537, Ittingen, TH (1461-1848), La Part-Dieu, FR (1307-1848), La Valsainte, FR (1294/1295-1778, restauration: 1863), Thorberg, BE (1397-1528). Des exemples de chartreuses sont empruntés à différents pays. En Italie, Montebenedetto (dans le Val de Suse, 1189-1498) et Gênes (1297-1797). En France, Lugny (1172-1791) en Bourgogne, Val Sainte-Marie de Bouvante (1144-1791) dans le Vercors, Valbonne (1204-1790) dans les Alpes Maritimes, Bonpas (1320-1792) et Villeneuve (1356-1792) dans le pays d’Avignon, Le Mont Sainte-Marie (1324-1792) et Val Saint-Esprit (1329-1792) à Gosnay, dans le Pas-de-Calais. En Belgique, on trouve Liège (1360-1797) et aux Pays-Bas, Roermond (1376-1783). Enfin, en Angleterre, il faut citer Te London Charterhouse (1371-1553). La question de l’environnement physique, politique, économique et religieux permet d’établir des situations individuelles contrastées entre chaque chartreuse dans la manière d’occu per et d’aménager l’espace, de le percevoir et de le vivre.

Dans leur modèle initial, les chartreux recherchent des endroits retirés, en montagne (jusqu’à 1300 m d’altitude), à l’abri des passages et pouvant vivre de manière autarcique. Avec la fondation de la chartreuse de Vauvert (1257-1790), près de Paris, par Louis IX, l’ordre s’adapte de manière remarquable à de nouvelles réalités. Les moines s’installent en milieu périurbain, proche d’Avignon (les papes schismatiques établis dans la capitale du Vaucluse vont favoriser l’installation des chartreux aux alentours de la ville), voire franchement urbain, comme à Gênes, Liège ou Londres, dans des bâtiments existants, à vocation religieuse (Ittingen) ou tout à fait profanes (Thorberg), ou encore à caractère fortement rural (La Part-Dieu, La Valsainte, Valbonne).

Le village de Gosnay, dans le Pas-de-Calais, accueille même deux établissements chartreux – pour les moines et pour les moniales.

L’interrogation est posée sur l’infléchissement des préceptes originels de l’ordre: comment est-on passé d’un environnement montagnard et forestier des premières générations de chartreuses à des sites de plaine, proches d’endroits habités? Les études démontrent que les efforts d’adaptation des chartreux n’ont pas dérogé au respect de l’esprit de solitude et d’austérité et des exigences ascétiques de leurs pères fondateurs, en rupture avec le monde. Les moines ont veillé à délimiter soigneusement le périmètre de leurs possessions autour de leur couvent, à l’élargir au besoin et à s’assurer de la suffisance des revenus pour leur vie d’ermite. La préoccupation des limites de la chartreuse continue d’être la raison des transactions. Les divers espaces de la vie monastique demeurent immuables et parfaitement identifiés: église, bâtiments cénobitiques, cellules des ermites, dépendances. Il n’empêche que le désert s’est réduit, les bâtiments monastiques et ceux abritant des activités agricoles et artisanales se sont rapprochés et que la maison basse ainsi que les frères convers ne sont plus nécessairement attestés. Le domaine cartusien se resserre autour de la maison haute. L’installation en milieu urbain des chartreux n’est pas sans conséquence sur la vie socioéconomique des habitants, comme le démontre de manière significative la chartreuse de Gênes. Les moines, soucieux de façonner leurs besoins, ont agi constamment sur le territoire.

Quatre articles du recueil se distinguent par leur questionnement. Ainsi l’essai de Vincent Corriol et de Jean-Daniel Morerod «Les moines et la mise en valeur des espaces d’altitude: l’exemple de Saint-Cergue et d’Arzier» illustre les relations entre les deux abbayes d’obédience différente – la bénédictine Saint-Claude et la chartreuse d’Oujon – avec le souci de cette dernière de ne rien négocier qui puisse nuire aux limites du désert. L’article du regretté Jean-François Poudret, «Un procès exemplaire entre la chartreuse d’Oujon et la communauté de Begnins», décortique la mécanique du jugement d’un long contentieux entre deux communautés, tout à fait inhabituel, à un moment où la baronnie de Vaud est incorporée dans l’État savoyard. Dans «Gens du siècle en Chartreuse, entre charité économie et curiosité au travers des tableaux de la galerie des cartes de la Grande Chartreuse», Alain Girard commente les représentations qui sont faites des chartreuses. Enfin, Laurent Auberson clôt le volume en observant à travers la cartographie et les registres cadastraux de la période bernoise à l’époque cantonale, la persistance de la chartreuse d’Oujon après sa suppression en 1537. Sa forte empreinte dans le territoire, marquée par des inscriptions toponymiques, offre des perspectives stimulantes pour la recherche des archéologues et des historiens lesquels ont déjà pu localiser et certifier la première implantation du couvent.

Tant par la diversité que par la richesse des contributions d’un colloque qui s’est tenu sur les lieux mêmes de la chartreuse d’Oujon, ainsi que par le soin apporté à l’illustration et à la mise en page, ce volume éclaire de nombreuses pistes de recherche et projette des enseignements originaux sur l’ordre des chartreux. Parmi les premiers témoins du mouvement religieux, la chartreuse d’Oujon gagne en épaisseur historique et constitue désormais un référentiel de qualité pour toutes les créations monastiques qui lui ont succédé à travers l’Europe occidentale.

1 Laurent Auberson, Gabriel Keck, Jean-Daniel Morerod (dir.), Notre-Dame d’Oujon (1146-1537) : une chartreuse exemplaire?, Lausanne: Cahiers d’archéologie romande, 1999, 336 p. (CAR 65). Voir notre compte rendu dans RHV 108, 2000, pp. 157-159.
2 Bernard Andenmatten (dir.), Les chartreux en Suisse, Bâle: Editions Schwabe, 2006, 429 p. (Helvetia Sacra, III/4).

Zitierweise:
Gilbert Coutaz: Laurent AUBERSON (dir.): Les chartreuses et leur espace. Actes du colloque tenu à Arzier (canton de Vaud, Suisse), en 2008 et études diverses, Lausanne: Cahiers d’archéologie romande; Société d’histoire de la Suisse romande, 2016. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 239-240.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 239-240.

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